Une infinité de possibles pour un même sujet
Faire un film documentaire revient à choisir un sujet, mais aussi un angle pour aborder ce sujet d’un point de vue thématique et esthétique singulier. Il est souvent demandé aux cinéastes de produire une note d’intention. Ce document correspond aux directions thématiques que vous allez choisir. Les choix de mise en scène permettent de raconter un même sujet différemment et donc de raconter une chose différente. Prenons un sujet : la ville. La ville chez tel cinéaste peut être le lieu du crime, du mystère, de la rencontre ou des rapports sociaux. Vous pouvez ainsi choisir de représenter les rapports de classe (À propos de Nice de Jean Vigo en 1930) ou encore le prétexte à une symphonie sociale dédiée à la modernité comme pour L’homme à la caméra de Dziga Vertov (1929):
Principe de réflexivité
Nous parlions précédemment de la possibilité de choisir l’ordre des étapes de travail au cours d’un processus d’écriture (qui s’étend donc tout au long de la fabrication de votre film). La plus grande complexité liée à une écriture documentaire vient sans doute du lien entre ces étapes qui se répondent et s’influencent entre elles.
Un repérage peut être le fruit d’un travail de recherche, tout comme il peut vous amener à remettre en question ce travail en revenant à nouveau point de départ. Chaque étape est donc susceptible d’enrichir une autre, parfois en la contredisant. Un tournage peut vous confronter à un élément inattendu qui vous amènera à repenser entièrement votre film en mettant de côté tout ce que vous aviez prévu. Vous souhaitez réaliser un film sur la pérennité d’un tiers lieu et ce tiers lieu disparaît au moment du tournage ? Vous réalisez une recherche sur la culture anti-sexiste d’un milieu musical underground et vous constatez sur le terrain une surreprésentation masculine significative ? Dans de telles situations, vous serez amené à questionner vos acquis et à adapter votre film.
Une remise en question permanente
Ces exemples ne sont pas exceptionnels. L’incertitude est sans doute ce qu’il y a de plus commun dans l’expérience de réalisation documentaire et l’habileté à s’adapter aux situations inattendues est certainement la meilleure alliée qu’un·e cinéaste puisse espérer. Elle permet non seulement une bonne disposition à remettre en question ses certitudes, mais aussi de rendre possible un film malgré les difficultés.
Pour résumer, on pourrait dire de la réalisation documentaire qu’elle se construit sur une gymnastique permanente d’attachement et de détachement. Elle demande à s’attacher à un sujet et à y projeter son affect pour développer un discours tout en étant disposé à s’en détacher si un nouvel élément contredit vos certitudes.
En outre, cette disposition permet aussi d’appréhender plus facilement les aléas d’un film. Vous réalisez un projet dédié à une biennale et vous apprenez qu’il sera impossible de filmer la prochaine ? Il va falloir se faire à l’idée que le film ne se fera pas avant quelques années. Mais rien n’est perdu, vous avez appris beaucoup de choses et vous pouvez amorcer un autre film en attendant.
Faire le point sur ce qui m’intéresse
Le principe de réflexivité concerne aussi les cinéastes. Le regard façonne le travail de recherche. En retour le travail nourrit le cinéaste en transformant son regard regard. Il n’est donc pas exagéré de dire qu’on se réalise en réalisant. Tout au long de votre parcours d’auteur, vous serez amené à construire votre point de vue et votre sensibilité sur le monde en vous questionnant et en bousculant votre regard.
Vos sujets de prédilection évoluent. Certaines parties changent, d’autres demeurent. Il est bon, par moment, de faire le point et de savoir décrire par exemple en quelques mots votre domaine d’expertise : tout ce qui vous intéresse en particulier résumé en trois ou quatre grands thèmes.