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Définir son terrain

Nous empruntons ici au domaine de la recherche la notion de terrain. Celle-ci définit le périmètre du sujet traité : ce dont on parle et ce dont on ne parle pas. Le périmètre d’une recherche peut évoluer si l’on estime que cela est nécessaire, mais il est important de garder en tête cette idée pour ne pas s’éparpiller.

Du plus grand vers le plus petit, du plus simple vers le plus complexe

Un terrain s’établit par la recherche documentaire : informations en ligne, articles de journaux, revues scientifiques, images, son, mais aussi les rencontres. Pour être sûr de ne pas passer à côté d’un élément important, il est bon de commencer sa recherche du plus général vers le plus spécifique et du plus simple vers le plus complexe. Pour structurer cette recherche, vous pouvez garder quelques questions en tête.

Est-ce le bon terrain ? Pourquoi ce terrain et pas un autre ? Qu’est-ce qui caractérise mon terrain ? Qu’est-ce qui m’intéresse, moi, dans ce terrain ?

Diachronique, synchronique

Pour contextualiser son terrain, il peut être bon dans l’interroger dans le temps (diachronique) et dans l’espace (synchronique).

Imaginons par exemple que je souhaite réaliser un documentaire sur les films d’horreurs. Une rapide analyse diachronique peut m’aider à repérer quelques dates importantes dans l’histoire : le premier film d’horreur (ici disent certains, ou là disent d’autres ), jusqu’à It Follows (2015) en passant par Carnival of soul (1962). Ensuite, une analyse synchronique peut aider à identifier des films d’horreur dans plusieurs pays, des États-Unis avec les dents de la mer, au Laos avec les films de Mattie Do en passant par la Corée (The Strangers de Na Hong-jin en 2016)

Tous ces éléments mis bout à bout me permettent déjà d’en savoir plus sur mon sujet, mais aussi, peut-être de resserrer mon terrain sur un espace-temps plus précis (les films d’horreur hollywoodiens des années 1970 ou ceux de la nouvelle vague coréenne des années 2000 ?).

Thématique

Après avoir cerné le périmètre de son terrain et identifié sa thématique, il est maintenant temps de poursuivre les recherches. Là encore, tous les moyens sont bons : archives, témoignages, ressources scientifiques, journalistiques, audiovisuelles, tout ce que vous pourrez réunir en fonction de la nature de votre thématique sera bon à prendre.

Attention ! On n’atteint jamais l’exhaustivité. Toute recherche est par définition limitée par un certain nombre de facteurs à commencer par le fait que nous ne sommes par surhumains ! La première limite est celle des ressources documentaires. Il n’est pas toujours facile de réaliser un « état de l’art », c’est-à-dire un compte rendu de la recherche jusqu’à nos jours.  Peut-être aurez-vous accès à un terrain prolifique ou peut-être pas. Peut-être aussi serez-vous passé à côté d’une source d’informations importantes.

Pour éviter au maximum cet écueil, une bonne méthode consiste parfois à recommencer le cycle de recherche en repartant du plus général pour revenir vers le plus précis et de croiser les (res)sources.

Lieux ressource

À ce stade de votre recherche, vous avez déjà une petite idée de votre terrain, de votre thématique et de ce qui la caractérise. Il est maintenant temps d’identifier les lieux ressource où vous pourrez vous rendre pour rencontrer des personnes clé et peut-être même identifier des espaces et/ou des actions que vous pourrez filmer plus tard.

Personne ressource

Les personnes ressource sont souvent très importantes dans une recherche documentaire. Elles vous permettent d’identifier des éléments clé pour votre recherche (thématiques, problématiques, personnes, histoires, lieux ou objets d’intérêt), notamment ceux à côté desquels vous auriez pu passer précédemment.

Les personnes ressource n’ont pas toujours vocation (ni forcément envie) d’apparaître dans un film, mais leur aide est souvent déterminant. Dans une perspective logique (ne pas se mettre à dos son terrain de recherche) et surtout éthique, il est important de bien identifier les motivations et les intérêts des personnes à vous accompagner dans votre recherche.

Principe d’équitabilité

Cette question est complexe et pourrait faire l’objet de tout un livre (voire de plusieurs). Pour simplifier et résumer autant que possible, nous vivons dans des sociétés traversées par de fortes inégalités : des inégalités économiques et/ou symboliques, de genre, liées à l’orientation sexuelle, au racisme et au validisme notamment (la liste n’est bien sûr pas exhaustive).

Chacun d’entre nous occupe une place dans cette société et les positions ne sont jamais neutres. Vis-à-vis d’un terrain et/ou d’un·e interlocut·eur·rice, nous pouvons donc à chaque instant être en position dominante, dominée, voire dans une double position selon les segments de notre identité. Il est donc essentiel de conscientiser cette position et d’agir de manière à ne pas tirer avantage de cette inéquitabilité.

Plusieurs solutions existent pour lutter contre les inéquitabilités : co-construire un projet en travaillant avec les personnes issues du terrain, s’assurer que nous ne parlons pas à la place des personnes sur des sujet qui les concernent spécifiquement (surtout si ces sujets induisent des rapports de domination), questionner le rapport social et économique autour de la fabrication d’un film (notamment, en cas de tournage à l’étranger, les différences de salaire entre les pays) et surtout, questionner son propre rapport au sujet, ainsi que ses motivations. La richesse de l’activité de documentariste fait que ce sujet est dynamique. Il évolue en permanence au fil des contextes historiques et des situations.

Cependant il est essentiel de conscientiser notre rapport au travail documentaire en gardant toujours à l’esprit que notre démarche s’inscrit dans un contexte socio-historique déterminé. Pour illustrer cette idée, je vous propose de regarder cette image de l’ethnologue Bronislaw Malinowski, posant sur son terrain dans les Iles Trobriand en Papouasie-Nouvelle Guinée entre 1917 et 1918. Malinowski a beaucoup innové dans les domaines des sciences sociales en introduisant la notion d’observation participante qui consiste justement pour un chercheur ou une chercheuse à intégrer son terrain de recherche en vivant parmi les personnes sur le temps long et, si possible, en apprenant leur langue.

Cependant, un siècle plus tard, avec le recul historique, cette représentation heurte notre regard et ce, à juste titre, puisque la photographie met éminemment en scène un personnage blanc au désavantage de personnes noires ce qui, avec le recul historique sur la colonisation confère une charge négative à l’image que son auteur n’avait peut-être pas anticipé.